A N T I T H E R A P I E
         s e   d é c o u v r i r  l i b r e
 

L'a n t i t h é r a p i e

Une mise en lumière de notre liberté


Article paru dans la revue « 3ème Millénaire » - n°91, printemps 2009

Paysage

Émerger de soi-même

L'antithérapie peut s'apparenter à une méthode de soin mais le soin est ici d'un type très particulier.  En effet, il ne s'agit pas d'une thérapie en ce sens que la finalité n'est pas de guérir ni même de soulager d'une maladie dans un avenir plus ou moins lointain. Il n'est pas question non plus de nier ou de masquer les difficultés psychologiques de l'individu.

Il s'agit de découvrir si l'être que nous sommes vraiment peut vivre libre de la complexité intérieure et extérieure qui nous occupe et nous préoccupe. Si elle est possible pour la personne, cette découverte va agir simultanément dans les deux sens du terme : il y a comme une couverture à enlever et quelque chose à recouvrer. En laissant la représentation la plus profonde qu'elle a d'elle-même pour ce qu'elle est, une simple image, la personne pourra goûter à cette singulière saveur de la liberté. Cette liberté est notre liberté, la liberté de l'esprit.

Simplement, dans l'échange, l'intention sera de faire émerger, comme en amont de la pensée, notre identité profonde et singulière. Non pas notre identité qui nous distingue des autres, mais notre identité qui nous distingue de la représentation de nous-même. Notre identité « racine », étonnante dans son double aspect personnel et universel à la fois. Notre identité originelle, ce que nous sommes avant la détermination.

Découvrir… une personne bien singulière

Il faut donc d'abord pouvoir donner un sens au mot « personne », à ce qu'on appelle la personne intérieure, la première personne. Si je suis au contact de moi-même en tant que première personne, je vais pouvoir reconnaître que ce moi a des productions personnelles. Je vais pouvoir me distinguer de «l'image-moi ». Cela est primordial pour discerner ce qui procède du réel et ce qui procède de l'irréel. (Nous verrons plus loin qu'il ne s'agit pas ici de mépriser l'irréel, il a son importance et ne doit surtout pas être confondu avec le néant.) La reconnaissance de ce mystère « moi » comme central et fondateur de toute perception, comme irréductible à toute chose, à toute proposition de la pensée, est l'accession même au fameux « je suis ».

La première personne génère l'être en elle-même : fondamentalement, « je » n'existe pas sans « suis ». Ce « je suis » est constitutif de l'acte de conscience parce que la conscience est le propre de « je suis ». Ainsi, pour la personne intérieure, être est une même chose que « être conscience ».

Si on pouvait pleinement intégrer la signification « je suis conscience », non pas comme le simple préalable à la lucidité que requiert la vie quotidienne, mais comme notre première identité, alors on pourrait vivre sa propre histoire autrement que plus ou moins enfermé dans une pensée velléitaire ou une pensée de résignation. Parce qu'il n'y a pas de conscience sans attention, le contenu de notre conscience perdrait sa fascination en même temps qu'il prendrait véritablement sens. Enfin notre vie se mettrait à signifier. Il s'agit bien ici d'une signification immédiatement vivante. Le langage populaire exprime cela très bien : « ça me parle ». Le monde me parle !

« Le chemin fait partie de la messe » (sagesse percheronne)

Dans cette perspective, une relecture de sa vie se fait spontanément. La pensée de sa vie comme plus ou moins ratée ou plus ou moins réussie est remise à sa place : insignifiante. Son histoire est vue en tant que telle c'est-à-dire non pas comme une réalité sue, mais comme une histoire vivante, comme l'aventure de la vie. Ainsi elle peut entrer en résonance avec toutes les autres. Parce qu'elle est universelle, elle intègre tous les possibles. Parce qu'elle n'est plus vécue comme une réalité passée et à venir mais comme le symbole vivant de ma conscience, enfin on peut parler de présence à soi-même. Enfin on ne marche plus « à côté de ses pompes » ! La vie n'est plus une chaîne de causes et d'effets accrochée entre la naissance et la mort, mais devient un livre ouvert. De ce livre, vous êtes et le lecteur et le héros. Le héros donne vie à l'histoire. Le lecteur, parce qu'il accède au sens, accède à la valeur. Alors vraiment, ce que vaut la vie, c'est la découverte d'une conscience mienne d'une autre dimension que la lucidité étriquée des limites de ma perception et de ma raison.

Cette première identité est véritablement la seule dans laquelle l'homme puisse se reconnaître à chaque instant. Vivante au cœur de chaque situation, elle va permettre à notre identité terrestre, aux traits de notre personnalité de s'exprimer. Elle va permettre à tous les rôles à tenir, au sein de la famille ou de l'environnement social, de se mettre en place naturellement.

Pour que le conditionnement ne nous morde pas à chaque difficulté, une adaptation immédiate est nécessaire. Adaptation immédiate cela signifie : répondre à la provocation de la vie sans médiation, c'est-à-dire sans la mise à distance qu'opère une pensée mécanique qui continue à affirmer que le réel est toujours en face. Une pensée mécanique qui persiste à affirmer que la liberté est toujours à trouver ailleurs, un peu plus loin. Une pensée qui, dans l'affirmation erronée d'un réel séparé de ma conscience, me réduit finalement à mes déterminations.

Des choses essentielles à l'essence des choses

Au-delà de la valeur qu'on accorde à nos proches ou à nos biens, il faut reposer la question de ce qui compte pour nous. Il y a un travail à effectuer sur les concepts fondamentaux pour réaliser ce qui constitue l'origine de soi-même. Il n'est pas question ici d'une origine passée de notre histoire, mais de ce qui fonde notre existence au présent : avant d'être ceci ou cela, il y a cette conscience que nous sommes. Est-il possible de vivre la dimension d'une conscience pure, avant qu'elle ne s'épanche dans un quelconque objet ? N'est-ce pas là la seule façon de comprendre le déterminisme et enfin de pouvoir vivre libre ?

« L'antithérapeute » invitera la personne à se questionner sur la cohérence de son vécu, non pas tant avec ses opinions ou sa philosophie de vie mais avec la compréhension précise du sens profond et vivant des idées qui constituent sa relation avec le monde. Le discernement de ces « idées » conduira la personne à une nouvelle reconnaissance d'elle-même. Le préalable, qui s'avérera peut-être suffisant, est d'intégrer le sens premier de ces concepts fondamentaux comme autant de clefs personnelles.

Dans la vie quotidienne, il semble normal et sain de faire découler la supposition du vécu, l'imaginaire de la réalité, l'irréel du réel. Mais vient un moment au cours d'une recherche sur la vérité de soi-même où cette logique explose, jusqu'à s'inverser étonnamment.
Une idée n'est pas une chose qui existe. Une idée cela tiendrait plutôt de l'irréel que du réel. Cela est vrai pour l'idée communément admise en tant que représentation intellectuelle comme pour l'idée  « pure », c'est-à-dire l'idée en tant que véhicule du sens pur que l'on connaît au moins depuis Platon.
Dans cette philosophique, l'idée est le « matériau » de la pensée, comme la pensée est celui du raisonnement. Cette idée, non plus terme du raisonnement mais origine de la pensée, est porteuse du sens même de la réalité. Alors, dans cette compréhension, on découvre quelque chosed'extraordinaire : la réalité est inhérente à l'idée pure, elle est à trouver dans le sein même de l'idée pure. Ainsi, le réel n'est réel que par le sens. On peut remarquer que ce concept d'idée pure, quintessence du sens et de la signification, ressemble à s'y méprendre au Verbe chrétien des origines : « Au commencement était le Verbe […] et le Verbe s'est fait chair »…

Aimer c'est d'abord ressentir

Ce qui nous importe ici n'est pas de savoir pourquoi le Verbe s'est fait chair, mais comment le sens se fait vivant… comment il me fait vivant, vivant comme un enfant plein de ferveur. À ce sujet, l'antithérapeute doit pouvoir apporter quelques précisions utiles. D'abord, poser une question qui nous tient à cœur, une vraie question sur ce que nous sommes « au fond » va générer une qualité d'attention. Pour que le courage s'épanouisse contre les idées reçues, dans un premier temps la prudence est requise. L'accent est à mettre sur ce que nous ressentons, pas sur ce que nous savons, croyons, supposons. « J'ai l'impression… » s'avérera un avant-propos judicieux. Le mot impression dans son apparence modeste et son aspect commun a cet avantage de faire directement appel à la sensibilité la plus fine. Une impression, qu'un seul mot peut symboliser, permet de synthétiser tout un monde qui défie le temps et l'espace ; elle permet de reconnaître en soi tout le vivant dont je suis témoin. Alors le monde n'est  plus vu comme un objet extérieur, mais parce qu'il est lu en soi-même, il renvoie immédiatement à soi-même. Vous n'êtes plus isolé ni séparé de rien : « d'abord vous êtes le monde et le monde c'est vous » disait Krishnamurti.

Sur terre, être c'est avant tout, non pas une sensation limitée au corps, ni une émotion ou un sentiment empreints d'affectivité, mais une impression. L'impression d'être est porteuse de l'idée « je suis ». L'infinité des impressions est porteuse de l'infinité des idées pures.

Si l'idée « je suis » est l'idée mère, naturellement les idées filles recèlent aussi la plus grande valeur. Au premier rang d'entre elles, il y a bien sûr la liberté, mais il en va de même pour l'amour. Si l'on pouvait pleinement comprendre le mécanisme subtil et intemporel de la valeur, la valeur qui nous lie à nous-même, alors on pourrait peut-être enfin s'aimer, on pourrait peut-être enfin aimer sans réduire l'amour, par exemple à ce qui peut se passer entre un homme et une femme.

Il en va de même pour la solitude, pour la volonté, etc. Il s'agit de laisser le sens commun de la solitude qui ne signifie que l'isolement, pour accéder à une solitude véritablement épanouissante. Il s'agit de ne pas confondre ce qui est de l'ordre du choix ou de l'action volontariste avec une véritable liberté intérieure. En comprenant ce qui la détermine vraiment et ce qui la fait être, la même d'instant en instant (et non pas ce que le passé a fait d'elle), la personne pourra découvrir s'il est possible de vivre au-delà de la détermination.

Grandeur et misère de la pensée

Notre compréhension erronée ou limitée le plus souvent au sens le plus péjoratif de tant de concepts qui fondent notre rapport au monde, nous fait vivre une vie limitée, tronquée si ce n'est de l'essentiel, du moins de la potentialité qu'il se manifeste. Hélas cette compréhension, plus ou moins à notre insu, nous l'affirmons bien souvent comme seule possible. Cette envahissante affirmation de la pensée va à l'encontre de la certitude d'être. Le doute est capital, mais contrairement au sens commun, il faudrait qu'il soit à la racine de la pensée, pas à la racine de l'être: la pensée n'est pas faite pour affirmer le réel mais pour proposer, faire des hypothèses. Par contre, il n'y a pas d'être sans une affirmation farouche d'être. Tel est l'acte de conscience, « farouche » parce que la pensée ne peut apprivoiser l'acte fondamental qu'est la conscience d'être. Il faudrait se rendre compte que, pour notre malheur, la pensée s'est érigée en maître, en maître de notre propre conscience !

Une certaine ascèse de la pensée est donc nécessaire. Trop souvent, pour ne pas dire tout le temps, nos préjugés condamnent la conscience à finalement pas grand-chose en comparaison des conclusions de nos raisonnements. Une mise à plat de nos préjugés n'est pas chose facile à faire seul. Pourtant, plus on s'approche de la subtile vérité de l'être, plus cette mise à plat s'avère indispensable. Alors, pour accéder à une conscience libératrice d'elle-même, on pourra se servir de la pensée. En fait, la pensée est l'indicateur majeur. Mais ce n'est qu'un outil, et plus les limites de la pensée seront vues, plus les indications qu'elle donne seront précieuses. Précieuses pour recouvrer l'impression originelle d'être, l'intimité naturelle avec les formes du vivant.

Une purification s'opérera alors : celle des liens propres qui fondent la personne elle-même. Cette connaissance de soi révélera la valeur de l'existence, de notre existence.

Christian Jourdain
Paris, mars 2009
Haut de la page
    A N T I T H E R A P I E Une mise en lumière de notre liberté