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Un entretien avec Stephen Jourdain


Stephen dans les jardins de Saint-Anne
Steve et Christian dans les jardins de Sainte-Anne

LA FLAMME « MOI »

La maladie de l'esprit c'est d'être entaché des formes qu'il peut prendre. J'ai parfois l'impression d'être sali, jusqu'à la négation de mon être, par ce que je suis.

J'ai le droit d'être tout ce que veux, j'ai le droit même d'avoir tous les savoirs du monde, je n'ai pas le droit de me réduire à cela. Cette évidence première " moi " est différente de tout cela que je suis. On voit bien que le problème est la relation entre " je suis " et " je suis cela ". " Cela " que je suis pose problème mais il est naturel qu'il y ait " je suis cela ", sinon " je suis " ne pourrait pas accéder à l'être. Mais pour vraiment accéder à l'être, il faut que " je suis " comprenne qu'il est irréductible à cela, qu'il ne peut pas être souillé par cela. Ce n'est pas faire le procès de cela mais c'est faire le procès de la réduction de " je suis " à ce que " je suis " est. Dieu, ce que l'on appelait Dieu autrefois, va véritablement s'allumer quand il va se déshabiller de ses essences mêmes. À la limite, la conscience pure est irréductible à la conscience pure, l'existence infinie est irréductible à l'existence infinie. Dès l'instant où cela sonne comme un attribut essentiel de l'existence infinie, ce que je suis véritablement est éternellement en recul par rapport à cela que je suis.

Le drame, c'est de ne pas repérer cette citadelle " moi ".

Il faut être en bon terme avec ses attributs car l'accession à l'être se fait par l'acquisition de ses attributs. Il y a la personne, mais pour qu'elle existe, il faut qu'elle ait une personnalité. Cela que je suis, si on prend cette terminologie, et ma vie, ma personnalité, rien de cela ni rien d'autre n'a le droit de prétendre être la personne, la personne n'est pas réductible ni à ses contours, ni à sa substance. La première de toutes les obligations est de procéder de façon claire et définitive au repérage de cette intuition fondamentale qui envahit tout mais au contact de laquelle nous nous sommes coupés : moi, l'évidence moi. À partir de là seulement la bataille peut commencer.

Il semble que l'évidence " moi " peut être couverte de nuages plus ou moins épais.

Si elle était rayonnante, instantanément on foncerait et la passion serait là. Mais si on ne fait qu'entrapercevoir la valeur infinie, la perception a perdu son punch et elle est insuffisante. On parle de la façon d'accéder à ce qu'on appelle en orient la réalisation, c'est un problème très difficile. Si, en même temps que la reconnaissance de cette intuition fondamentale, on est en porte à faux avec la valeur qui scintille en elle, l'évidence moi, on ne la traite pas comme la chose la plus importante du monde, on la relativise et finalement on n'est pas en cohérence avec soi-même. D'un côté on dit " oui, il faut y aller " et de l'autre on attache toute l'importance à des choses qui ont le droit d'avoir une importance, on se soucie du type ou de la femme avec qui on vit, de petits problèmes psychologiques, d'autres choses, de la santé de ses enfants ; c'est très bien et ce n'est pas antinomique de la conscience, mais ce ne sont vraiment que des grains de poussière par rapport à l'accession à l'être.

On joue au quotidien tiède et après on essaie de mettre de la braise sur notre aspiration à être.

Si le jeu n'est pas brûlant, c'est parce qu'on ne sait plus jouer. On prend les choses au sérieux et c'est déjà poser le rêve, le destituer en une seule fois parce qu'on va croire aux vérités. Le chercheur sérieux croit à la vérité de ce qu'il cherche, mais ce n'est qu'une croyance intellectuelle, elle ne vient pas de l'âme. Le manque de passion est intimement lié au fait que nous nous emmerdons au lieu de nous amuser. Les enfants sont en meilleure position parce qu'ils savent jouer.

En se résignant à n'être que ce que l'on est, on fait une croix sur l'étonnement d'être et sur la passion d'être. En affirmant réel ce que je suis, j'en ai fait un objet de perception et j'ai malencontreusement transformé le sujet en objet.

C'est toi, ou la vérité.

D'où l'avantage des petits enfants qui ne s'encombrent pas de vérités. Quand on voit les premières vérités venir perturber la fraîcheur de l'enfance, on s'aperçoit de la force destructrice du " c'est comme ça et pas autrement ".

Ce qui manque à l'être humain, ce n'est pas le moi ultime, c'est le moi tout court, c'est l'impression naturelle que tous les enfants ont d'être eux-mêmes et pas quelqu'un d'autre. Ce qui manque en général, c'est le moi ordinaire qui est déjà très extraordinaire. La possession du moi habituel, humain, normal est le préalable à tout éveil. Après, une fois que la petite flamme est là, elle a une chance de se rencontrer elle-même. Cette présence intérieure " moi " doit d'abord être là à l'état naturel. Il ne faut pas la déshumaniser. Mais les gens sont inconscients, la non-conscience d'eux-mêmes est quelque chose d'hallucinant.

La conscience est toujours vécue comme conscience de quelque chose, cela définit non seulement notre rapport au monde mais aussi la relation avec nous-même. Ainsi la conscience n'est que l'instrument de l'observation ou de l'auto observation. Mais ce dont tu parles, c'est d'une complète identité de la conscience et de " je suis ".

La petite flamme est une même chose que moi-conscience, moi-je suis. L'essentiel est de veiller sur cette petite flamme. Nous sommes cette petite flamme et elle doit prendre conscience d'elle-même. La texture de cette petite flamme est la conscience, et elle est d'abord conscience d'elle-même.

Christian Jourdain
Paris, janvier 2003
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